Château de Sainte Agnès


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le silence des textes

An mil

Le silence des textes :

..........On sait peu de choses du comté de Vintimille au XIe s. Dans le cadre de la fragmentation féodale, générale en Ligurie, la succession des marquis arduinides fut marquée par des troubles. La marche de Turin existait depuis 964 au moins, elle couvrait la plus grande partie du Piémont occidental, notamment les comtés d'Auriate, de Turin, d'Asti, d'Alba et de Bredulo. Or, profitant de la disparition du marquis Oldéric-Manfred, en rébellion ouverte contre lui, l'empereur Conrad confisqua ses biens (1035). Le passage des Arduinides aux Vintimille pourrait s'expliquer par l'opportunité offerte à l'un des représentants de l'aristocratie locale de se saisir des possessions arduinides les plus excentrées du Ponent ligure. Peut-être l'enracinement de ce lignage militaire est-il également lié aux raids sarrasins de la seconde moitié du Xe s. Dans la Haute Roya, c'est un climat de compétition territoriale qui se développa au cours de la seconde moitié du XIe s., une période de vaste recomposition territoriale et de féodalisation. Mais on ignore tout de la situation des confins occidentaux autour de Sainte-Agnès.

..........Ces confins entre la Provence et la Ligurie ne jouèrent pas un rôle de frontière active entre la fin du IXe s. et le XIe s. (et même jusqu'au milieu du XIIIe s.). La menace venait plutôt de la mer. En 849 des flottes musulmanes dévastèrent la côte ligure jusqu'en Provence. La situation empira lorsque les musulmans d'Espagne, profitant de l'anarchie qui suivit la mort de Boson (887) constituèrent une base au Fraxinet. De là ils investirent la Provence, la région de San Remo et Taggia. En 934 et 935 la Ligurie fut ravagée jusqu'à Gênes. Mais le Fraxinet tomba en 972 et en 1016 les flottes génoise et pisane chassèrent les musulmans de Corse : c'était la fin de leur grande offensive sur la mer de Ligurie.

..........Dans ce contexte général, qui a donc construit la tour de Sainte-Agnès ? Faut-il en attribuer la paternité, déjà, à un castellan désigné et salarié par le comte de Vintimille ? Ou faut-il en attribuer la paternité à un petit seigneur local : qu'il soit indépendant ou vassal du comte ? Mais il n'y en a aucune mention de vassal dans le comté de Vintimille avant 1216. Le "Rostagnus de Sainte-Agnès", signalé vers 1150 exerçait-il ce type de prérogatives ou n'était-il qu'un notable parmi d'autres ?

..........Pour tracer la troisième voie entre une présence vraiment aristocratique et une mode de vie tout à fait rural, on peut essayer de croiser les informations tirées de quelques textes concernant la Haute Roya et celles tirées de l'archéologie à Sainte-Agnès. J.-C. Poteur souligne en effet l'importance de "communautés pré féodales, communautés libres, aux populations importantes qui étaient en place au XIe s."

..........Juliette Lassalle précise, en particulier à partir de la Charte de Tende (rédigée vraisemblablement entre 1060 et 1080), qu'il y eut "un lent regroupement de la population autour d'un «castrum paysan», fondé par des alleutiers, sans aucune intervention seigneuriale […]. En l'absence d'un contrôle strict et direct sur une population éloignée du noyau patrimonial de leur pouvoir, les comtes avaient intérêt à encourager la formation d'une élite locale, dont ils gardaient le contrôle […] Suffisamment riches pour combattre dans le cadre des prestations militaires qu'ils devaient au pouvoir comtal […] profitant de leur situation frontalière et d'une pression seigneuriale limitée, ces communautés gardent une autonomie importante".

..........La tour de Sainte-Agnès est antérieure (au moins, de 60 ans) à la charte de Tende : a-t-elle été édifiée par les notables d'une telle communauté rurale, avant les premières interventions des comtes de Vintimille ? En Italie du Nord, des groupes de paysans libres ont continué à exister durant tout le Xe s. en dehors de tout cadre seigneurial. En Italie subalpine, le «castrum» est une structure fortifiée servant de stockage pour les réserves alimentaires et d'abri occasionnel pour la population rurale, associé le plus souvent à une maison forte. L'hypothèse est séduisante : pour Sainte-Agnès cette fonction de refuge pourrait être à l'origine de cette dizaine de trompes d'appel, et la présence d'une petite élite rurale pourrait expliquer que la relative aisance signalée par le mobilier se combine avec une nourriture carnée non aristocratique.




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